pit@uropax.contrib.de (Pit Schultz) (by way of Pit Schultz ) on Sat, 1 Jun 96 23:42 MDT


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nettime: Et les citoyens du Sud ? (Le Monde diplomatique)


http://www.ina.fr/CP/MondeDiplo/1996/05/GRESH/citoyens.html

INTERNET : L'EFFROI ET L'EXTASE

Et les citoyens du Sud ?

          Le développement d'Internet n'échappe pas aux logiques
          sociales. Il introduit même une nouvelle inégalité entre
          « inforiches » et « infopauvres ». Que faire pour la
          réduire ?

                               par Alain Gresh

     « Aujourd'hui, 20 % du monde consomment 80 % de ses ressources, un
     quart d'entre nous a un niveau de vie acceptable pendant que les
     trois quarts n'en bénéficient pas ; comment ce fossé peut-il être
     comblé ? ([1]) », s'interroge M. Nicholas Negroponte, fondateur du
     Medialab au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Bonne
     question à l'heure où tant de barrières s'élèvent entre le Nord et
     le Sud, et surtout entre riches et pauvres de la planète. La
     réponse de l'auteur de l'Homme numérique est d'une terrassante
     simplicité : « Pendant que des politiciens se débattent avec
     l'héritage de l'histoire, explique-t-il, une nouvelle génération,
     libérée des vieux préjugés, émerge du paysage numérique. Ces mômes
     ne sont plus obligés de tabler sur la proximité physique pour
     avoir une chance de se faire des amis, avec lesquels collaborer,
     jouer, se sentir proches. La technologie numérique peut être une
     force naturelle attirant les gens dans une plus grande harmonie
     mondiale. »

     Par quel miracle les « mômes » des bidonvilles de Lima, de
     villages d'Afrique ou ceux des banlieues new-yorkaises se
     retrouveront-ils dans le cyberespace? Les nouveaux prophètes de la
     « révolution de l'information » ne le disent pas. Avant-hier, les
     chantres du progrès technologique annonçaient que les chemins de
     fer mettraient un terme aux guerres et à la lutte des classes ;
     hier ce rôle était dévolu au téléphone ; désormais Internet a
     remplacé ces cultes moribonds.

     Les nouveaux réseaux de communication représentent
     incontestablement une spectaculaire avancée. Grâce à eux, les
     médecins ruraux de Zambie sollicitent, en cas d'urgence, un
     hôpital de la capitale. Le groupe Mujer a mujer (« Femme à
     femme ») de Mexico a pu réunir suffisamment de données sur une
     société textile américaine qui s'installait dans le pays pour
     négocier avec sa direction dans de meilleures conditions ([2]).
     Aux Etats-Unis, la décision de câbler gratuitement l'école
     Christophe-Colomb à Union City (New Jersey), quartier où la
     majorité des familles sont originaires d'Amérique latine, et
     d'offrir aux élèves de douze ans un ordinateur a permis à cette
     école d'obtenir les meilleurs résultats scolaires du district
     ([3]).

     Pourtant, le développement d'Internet n'échappe pas aux logiques
     sociales et aux clivages entre riches et pauvres - ni en termes de
     contenu des informations, ni en termes d'accès à celles-ci. Pour
     des raisons historiques, les institutions publiques, les
     universités, les organisations non gouvernementales sont encore
     dominantes sur la Toile (le World Wide Web). Si les difficultés de
     mise en place de modes de paiement électronique sûrs ont, et c'est
     une chance, retardé la commercialisation du réseau, la question de
     savoir qui dominera le contenu de l'information qui y circule
     reste posée.

     Comme le remarque Benjamin Barber, auteur d'un ouvrage intitulé
     Jihad contre McWorld ([4]),« technologiquement, Internet est un
     média décentralisé. Il est interactif, fournit de nombreuses
     possibilités de communications horizontales (de citoyen à citoyen,
     de groupe à groupe) ». Mais avant que les pauvres du monde soient
     connectés, Internet risque d'être« une filiale de News Corporation
     ou de Time Warner, et donc bien moins utile ([5]) ».

     Le dilemme est bien résumé par Peter Constantini, journaliste à
     Inter Press Service, à Seattle :« Au fond de la Sierra Madre, dans
     le sud du Mexique, les petits producteurs de café peuvent
     maintenant, de manière électronique, moissonner des informations
     sur l'agriculture, la biologie, les marchés du monde entier - au
     moins en théorie. (...) Au fond de leurs bureaux de la Silicon
     Valley, les responsables des entreprises de télécommunications
     consultent leur sismographe économique pour analyser la moindre
     variation de comportement des fermiers mexicains et de leurs
     milliards de collègues dans le monde. Mais ce que ces dirigeants
     veulent communiquer peut, ou peut ne pas être, ce que les fermiers
     veulent savoir ([6]). »

     En outre, pour avoir accès au contenu, quel qu'il soit, encore
     faut-il être « branché ». Même aux Etats-Unis, le pays le plus
     développé dans ce domaine, le profil de l'internaute est très typé
     : un homme, blanc, à revenus élevés. La logique de la
     déréglementation des communications risque d'accélérer un clivage
     qui ne sépare pas seulement le Nord et le Sud. Comme l'observe M.
     Stéphane Corriveau, de l'association Alternatives, un réseau
     d'action et de communication québécois engagé dans le
     développement des réseaux, le but de l'entreprise privée est
     d'« atteindre seulement les portions des populations susceptibles
     de devenir des marchés, peu importe où elles se trouvent ». « Au
     Brésil, par exemple, dit-il, on peut estimer que le quart de la
     population répond à ce critère. Cela fait un nouveau marché non
     négligeable d'au moins cinquante millions de personnes. Le même
     raisonnement s'applique à la Chine et à tous les autres pays. Ces
     couches de la société qui « fonctionnent » suffisent à justifier
     les investissements. Les autres, la grande majorité de la
     population mondiale, sont [des] laissés-pour-compte ([7]) ».

     Au Nord également, le secteur privé ne s'intéresse qu'au
     « consommateur solvable » et ne craint pas de manipuler le marché